SAREI TROPPO FELICE H.613
Benedetto Pamphilij (1653-1730)
Traductions : Marc Lesage/Philippe Grisvard/Xavier Carrère
Texte original
Sarei troppo felice
S’io potessi dar legge al mio pensiero
Io miro in bel giardin spuntar la rosa
Cui fan corona innamorati i gigli.
Io veggio le viole
Quai verginelle ascose,
Pallidette e fugaci
Schivar del sol nascente i primi baci.
Che pro?
Formo col piede orme odorose
Ma di cure penose
La mia mente trascorre alto pensiero.
Sarei troppo felice
S’io potessi dar legge al mio pensiero
Tal, se premo sentiero odorato,
Dura spina, che punge il mio core
Va dicendo costante dolore,
Non vien meno fra i vezzi del prato
Fra le danze, i teatri,
Ove festeggia in ogni ciglio il riso,
Ove ogni senso alla sua pace è volto,
Nel mio dolor sepolto,
Mi lascia all’improviso
Quanto veloce più, tanto più fiero
Che mi giova che vaga sirena
Sciolga all’aura vezzosi concenti
Se i più cari, i più dolci concenti
Mi risveglian l’antica mia pena?
Il vano mio pensiero
D’una madre immortal figlio incostante
Se la sgrido mi fugge
Se nol voglio mi segue,
E con moto indefesso
Entro i deliri suoi, perdo me stesso.
Il pensiero è un prato ameno
Ove i sensi hanno il confine;
Mille fiori chiude in seno
Ma lo cingon mille spine.
Il pensiero è una fenice,
Che in un tempo, e more e nasce;
Or di lagrime si pasce
Or risorge più felice.
Or chi brama goder tranquilla pace,
Piacer fermo, e sincero,
Incateni il pensier, se v’è catena,
Che uman pensiero incatenar si vanti;
Io per me la desio, ma non la spero.
Sarei troppo felice
S’io potessi dar legge al mio pensiero.
Texte traduit
Je serais trop heureux
Si j’étais maître de mes pensées.
J’admire au beau jardin la rose éclore,
À qui les lys amoureux forment une couronne.
Je vois les violettes,
Telles des vierges timides,
Pâles et fugitives,
Esquiver du soleil naissant les premiers baisers.
À quoi bon ?
Mes pas suivent un sillage odorant,
Mais des peines et des soucis
Mon esprit arpente la voie.
Je serais trop heureux
Si j’étais maître de mes pensées.
Ainsi dans le cours d’un sentier parfumé,
La dure épine empoignant mon coeur
Me répète sa douleur obstinée
Que n’atténuent les charmes du pré.
Au milieu des ris et des jeux,
Où la joie brille en chaque paupière,
Où chaque sens jouit de la tranquillité,
Enseveli en douleur
Me voilà tout soudain
Par un coup vif autant que cruel.
À quoi bon, qu’une belle sirène
Fasse résonner ses charmes
Si les plus tendres, les plus doux concerts
Me raniment une antique souffrance ?
Mes divagations
Sont enfants inconstants d’une mère immortelle.
Si je les tance, elles m’échappent ;
Si je les fuis, elles me poursuivent.
Et dans un incessant tourbillon,
Parmi leurs délires, je me perds moi-même.
La pensée est un jardin charmant
Où les sens sont captifs.
Elle enferme mille fleurs en son sein
Mais s’arme de mille épines.
La pensée est un phénix
En un éclair elle meurt et renaît.
Tantôt elle se repaît de larmes,
Tantôt elle revit toujours plus heureuse.
Que celui qui désire goûter une paix sereine,
Un bonheur pur et constant
Enchaîne ses pensées, s’il est une chaîne
Qui puisse lier pensée humaine ;
Pour moi je la désire, je ne l’espère pas.
Je serais trop heureux
Si j’étais maître de mes pensées.