Gustav Leonhardt, une discographie
Par Philippe Houbert
Introduction
et propos liminaires
Chapitre I
Bach au clavecin (1953-1967)
Chapitre II
L’Orgue sans Bach (1954-1974)
Chapitre III
Le clavecin (et autres) sans Bach (1954-1980)
Chapitre IV
La direction d’ensembles (1954 – 1983)
Chapitre V
La musique d’orgue de Bach
Chapitre VI
Leonhardt continuiste et chambriste
Chapitre VII
Bach au clavecin (1970-1975)
Chapitre VIII
Gustav Leonhardt et le concerto
Chapitre IX
l’Orgue sans Bach (1976 – 2001)
Chapitre X
Le clavecin et autres claviers, sans Bach (1987-2005)
Chapitre XI
La direction d’ensembles (1984 – 2007)
Chapitre III : Le clavecin (et autres) sans Bach (1954-1980)
Ce troisième chapitre est consacré à la musique pour clavecin (mais pas que) composée par d’autres compositeurs que Johann Sebastian Bach. Il s’agit, dans l’absolu, d’un des plus copieux et, ici comme pour les premiers et ceux qui suivront, il m’aura fallu choisir, sélectionner, souvent à regret.
Là encore, le parcours discographique débute à Vienne, dans les années 1950, en mai 1954 précisément, avec le label Vanguard. Alfred Deller convie Gustav Leonhardt à participer à l’enregistrement de pièces de la période élisabéthaine et jacobéenne. Nikolaus Harnoncourt et Desmond Dupré feront aussi partie de cette petite anthologie.
Voici l’une des deux pièces réservées exclusivement à Leonhardt, les Variations on Up Tails All de Giles Farnaby (1563-1640) :
Giles Farnaby: Fitwilliam Virginal Book — Variations for harpsichord on “Up Tails All“… – YouTube
En ce même mois de mai 1954, ces interprètes consacraient un autre disque à quelques compositeurs anglais de la génération suivante, principalement Henry Purcell. L’une des deux pièces pour clavecin était le Prelude, Air and Hornpipe de ce dernier.
Dans le chapitre 2, nous avons déjà eu l’occasion de parler de l’enregistrement réalisé en 1956 et dédié à quelques pièces pour orgue de Girolamo Frescobaldi (1583-1643). Leonhardt y jouait aussi quelques œuvres pour clavecin du compositeur, dont ces Partite sopra la Monicha publiées en 1615, et le Capriccio di durezze (1624).
Toccate d’intavolatura, 1615: Partite sopra “La Monicha” – YouTube
Primo libro di Capricci, 1624: Capriccio di durezze – YouTube
Les lecteurs des premiers chapitres savent désormais qu’un grand espace de temps sépara ce qu’il est convenu d’appeler la décennie Vanguard des premiers enregistrements réalisés par Leonhardt, quasi alternativement pour DHM (Deutsche Harmonia Mundi) et Teldec (à l’époque, Telefunken « Das Alte Werk »).
Nous arrivons donc à l’année 1962 (précisément au mois d’avril) avec, chez DHM, un disque intégralement dédié à la musique pour clavecin de Johann Jakob Froberger (1616-1667). L’instrument était le Joannes Ruckers du château de Velen, près de Münster.
Je vous propose quatre pièces de styles différents, extraites de cet enregistrement majeur dans la discographie de Leonhardt : la Toccata 12 en la mineur, la Suite n° 20 en ré majeur, la Fantaisie II en mi mineur et la Lamentation faite sur la mort très douloureuse de Sa majesté Impériale Ferdinand le Troisième ; et se joue lentement avec discrétion. Il sera très intéressant de comparer la version de cette dernière œuvre à celle réalisée 27 ans plus tard pour le même éditeur (rendez-vous dans un chapitre à venir).
Froberger – Toccata XII – Leonhardt – YouTube
Froberger: Suite No. 20, Leonhardt (1962) フローベルガー 組曲第20番 レオンハルト – YouTube
Fantasia II in E Minor – YouTube
En cette même année 1962, mais pour « Das Alte Werk », Leonhardt enregistrait un album intitulé « Cembalomusik des Spätbarock » (Musique pour clavecin du baroque tardif), comprenant les Suites n° 6 et 9 de Georg Böhm (1661-1733), la Suite n° 8 de Haendel (1685-1759), six pièces de Rameau (1683-1764) et quatre Sonates de Domenico Scarlatti (1685-1757). Nous avons la chance d’avoir une vidéo de l’intégralité de ce disque avec les minutages très précis. Profitons-en ! L’ instrument joué est un Wilhelm Rück d’après un Graebner de Dresde de 1782 (sauf pour les Scarlatti pour lesquels le clavecin est dû au facteur R. Schütze de Heidelberg).
Gustav Leonhardt (harpsichord) Cembalomusik des Spätbarock. Böhm, Rameau, Händel, D. Scarlatti – YouTube
L’année 1963 voit le retour chez DHM pour un disque consacré à des œuvres de Louis Couperin (circa 1626-1661) et Jean Henri d’Anglebert (1635-1691). L’instrument choisi par Leonhardt est ici un Martin Skowroneck, copie d’un Dulcken de 1745. Pour les pièces choisies, je vais privilégier d’Anglebert car, à ma connaissance, cette Suite n’a jamais fait l’objet d’une réédition.
Néanmoins, nous débuterons par le superbe Prélude de la Suite en ré mineur de Louis Couperin.
Leonhardt, Louis Couperin, Prélude – YouTube
Voici la Suite en sol majeur de d’Anglebert.
Gustav Leonhardt plays the suite in g minor by d’Anglebert – YouTube
L’année 1964 fut très prolifique pour Gustav Leonhardt et le label « Das Alte Werk » avec, entre autres, un disque intitulé « Cembalomusik aus Originalinstrumenten- Vol. 1 » (Musique pour clavecin sur instruments d’origine). J’en ai retenu 3 Toccate de Frescobaldi : undecima en do majeur, en sol majeur, et la Fantasia sopra doi soggetti (déjà entendue à l’orgue dans le chapitre précédent). Elles sont jouées sur le clavecin Jacobus & Abraham Kirchkman de 1766.
C’est sur l’instrument Rück/Graebner déjà entendu précédemment que Leonhardt enregistrait les 8 Préludes de L’Art de toucher le clavecin de François Couperin (1668-1733).
Couperin – Préludes from L’Art de toucher le clavecin – Leonhardt 1964 – YouTube
En février 1966, toujours pour « Das Alte Werk », Gustav Leonhardt consacrait un disque à la musique des virginalistes anglais autour de l’an 1600. Il y jouait alternativement un virginal, copie par Martin Skowroneck d’un original flamand du 17ème siècle, et le clavecin du même facteur déjà entendu.
Voici, au virginal, Nancie de Thomas Morley (circa 1557-1602) :
Et, au clavecin, une Fantasia du même Morley ; puis de William Randall ( ?-circa 1604), Dowland’s Lacrymae et la Galliard Can she excuse my wrongs ? :
Morley – Fantasia – Leonhardt 1966 – YouTube
William Randall – John Dowland’s Lachrimae – YouTube
Dowland / Randall – Can she excuse my wrongs – Leonhardt 1966 – YouTube
En 1967, “Das Alte Werk” enregistrait un disque entièrement consacré à Henry Purcell et à sa musique pour consort de violes et pour clavecin. Je n’ai malheureusement pas retrouvé trace de l’instrument joué à cette occasion.
Voici, réunies en une seule vidéo, Ground Z. 222, Suite Z. 667, Sefauchi’s Farewell Z. 656 et A New Ground Z. 682.
En février de cette année 1967, le même label captait les pièces qui allaient constituer le deuxième volume de la série « Cembalomusik aus Originalinstrumenten » (Musique pour clavecin sur instruments d’origine ». Malheureusement, peu d’œuvres de ce disque ont été reprises sur YouTube. J’ai retenu l’arrangement que Peter Philips, contemporain de Giulio Caccini (1551-1618), fit de l’air de ce dernier, Amarilli mia bella et un pièce anonyme nommée Daphne, tirée du manuscrit de Camphuysen.
Leonhardt jouait l’Andreas Ruckers de 1648.
Leonhardt, Philips/Caccini: Amarilli mia bella – YouTube
Heureux temps qui permettaient, à deux ans d’intervalle, à un interprète d’aborder des répértoires voisins pour des labels concurrents ! En septembre 1968, Leonhardt revenait au Schloss Ahaus (Wetsphalie) pour un programme intitulé « Englische Virginalisten » (les Virginalistes anglais), mais, cette fois, pour DHM, en partenariat avec BASF. Pour cet enregistrement, c’est un autre instrument de la famille Ruckers, le Johannes de 1640, que notre interprète choisissait.
Voici l’intégralité de ce disque, très bien minuté et renseigné. Une merveille !
Gustav Leonhardt (harpsichord) Englische Virginalisten – YouTube
En 1969, Leonhardt restait chez DHM pour un disque consacré à des clavecins anciens italiens, allemands et néerlandais. Programme assez disparate s’étendant sur près de deux siècles.
3 instruments présentés :
Un clavecin Grimaldi de Messine (1697) : je vous propose la Toccata de Giovanni Picchi (1572-1643) et deux Gagliarde de Giovanni de Macque (circa 1550-1614) :
Toccata (Fitzwilliam Virginal Book, I, 373) – YouTube
Giovanni de Macque – Two Gaillards – YouTube
Un Andreas Ruckers d’Anvers (1637) : 2 pièces : Une Toccata de Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621) et une composition anonyme intitulée La Princesse, tirée d’un cahier de 1671 :
Enfin, le clavecin Rück/Graebner déjà entendu : ici nous écouterons la Sonate en mi mineur opus 2 n° 3 Wotquenne 49 de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) :
Sonata in E minor, Wq 49/3, “Württemberg”: Allegro – YouTube
En 1970, c’est toujours chez DHM, et encore sur le Skowroneck/Dulcken, mais dans le château de Kirchheim, que Gustav Leonhardt enregistrait une merveille de disque qui fit date : dix sonates de Domenico Scarlatti. En voici cinq, afin d’éviter les doublons avec celles partagées plus haut.
Successivement, la K. 263 en mi mineur :
Sonata e-moll – Andante, K. 263 – YouTube
La K. 264 en mi majeur :
Sonata E-dur – Vivo, K. 264 – YouTube
Et les K. 490, 491 et 492, toutes en ré majeur :
Sonata D-dur – Cantabile, K. 490 – YouTube
Sonata D-dur – Allegro, K. 491 – YouTube
Sonata D-dur – Presto, K. 492 – YouTube
Dans le chapitre précédent, nous avons évoqué la partie organistique du disque consacré à Frescobaldi et capté par DHM. Voici l’une des pièces pour clavecin de cet enregistrement, sans doute l’un des chefs d’œuvre du compositeur, les Cento Partite sopra Passacagli, grande série de variations fondées sur un thème de chaconne. L’instrument est le Johann Ruckers de 1640.
Frescobaldi – Cento partite sopra passacagli – Leonhardt – YouTube
En février 1970, Gustav Leonhardt enregistrait pour « Das Alte Werk » la Musicalische Vorstellung einiger Biblischer Historien (Représentation musicale de quelques histoires bibliques) de Johann Kuhnau (1660-1722), recueil de sonates publié en 1700. Le terme sonate n’est pas à prendre au sens où on l’entend désormais avec des mouvements séparés, car les pièces ici composées sont de forme extrêmement libre. Il existe une vidéo intégrale de cet enregistrement, incluant le texte d’introduction (souvent assez long) lu par Leonhardt. J’ai retenu, pour des raisons de longueur et de compréhension du texte, des extraits de deux sonates (sans le texte) joués à nouveau sur le Skowroneck/Dulcken :
La sonate n° 2 : Saül mélancolique et diverti par la musique :
Leonhardt, Kuhnau, Ex Sonata 2 – YouTube
La sonate n° 6 : Le tombeau de Jacob :
Du disque « Das Alte Werk » consacré à l’œuvre pour orgue et pour clavecin de Froberger, enregistré également en février 1970 et, pour la partie dédiée au clavecin, interprétée sur un Skowroneck copie d’un original italien, peu de pièces sont encore disponibles. Voici néanmoins la très belle Allemande de la Suite XII (Lamentation sur la perte douloureuse de Ferdinand IV).
En 1971, DHM proposait à Leonhardt d’enregistrer un programme François Couperin. C’est encore le Skowroneck/Dulcken qui était de la partie. Je vous propose les pièces du 5ème Ordre retenues pour ce disque. Successivement, La Logivière, Courante et seconde Courante, La Dangereuse, Gigue, La Flore, Les Agrémens.
Pièces de clavecin I: Cinquième ordre: La Logivière. Allemande – YouTube
Pièces de clavecin I: Cinquième ordre: Courande – Seconde Courante – YouTube
Pièces de clavecin I: Cinquième ordre: La Dangereuse. Sarabande – YouTube
Pièces de clavecin I: Cinquième ordre: Gigue – YouTube
Pièces de clavecin I: Cinquième ordre: La Flore – YouTube
Pièces de clavecin I: Cinquième ordre: Les Agrémens. Première et seconde partie – YouTube
En octobre 1971, Leonhardt contribuait très indirectement à une anthologie qui paraîtra seulement en 2015 sous le label « Glossa » avec l’enregistrement de deux pièces de Sweelinck : Variations sur Est-ce Mars ? et Variations sur Pavana Lacrymae. Le clavecin vient de l’atelier de Rainer Schütze. Il est probable que ces captations aient été réalisées à l’occasion du 350ème anniversaire de la mort du compositeur.
Gustav Leonhardt plays Sweelinck live in the Oude Kerk: Esce Mars and Pavana Lachrymae – YouTube
1972 fut une année assez surprenante dans la discographie de Gustav Leonhardt. Dans sa recherche d’instruments collant au plus près de sa conception des œuvres, il finalisa l’enregistrement pour le label SEON/Philips d’un disque consacré à quelques œuvres de Mozart, sur un pianoforte Walter de 1781. Voici la Sonate en si bémol majeur Kv 333.
La même année, et aussi pour SEON/Philips, c’est à Carl Philipp Emanuel Bach qu’il rendait hommage en un double album, dont, fort malheureusement, peu de choses sont disponibles sur YouTube. Voici néanmoins la magnifique Fantaisie en fa dièse mineur Wq. 67. Je n’ai pas retrouvé trace de l’identité du clavicorde utilisé.
1973 est l’année durant laquelle Leonhardt enregistra deux vastes albums à des compositeurs français : Jacques Duphly (1715-1789) et Antoine Forqueray (circa 1672-1745). Même instrument dans les deux cas : un Rubio de Londres d’après Taskin. Même label : SEON/Philips.
Nous disposons de l’intégralité de ces deux enregistrements qui sont parmi les plus beaux que Leonhardt ait dédiés à la musique française. Et les vidéos indiquent le minutage très précisément.
Il est probable que le début de l’enregistrement de l’intégrale des cantates de Bach ait empêché Leonhardt de poursuivre le parcours discographique soliste au milieu des années 1970. Toujours est-il qu’entre 1973 et 1978, aucun disque relatif à ce chapitre n’a été capté.
Nous parvenons donc à septembre 1978 avec, sous label SEON/RCA, un nouveau 33 tours intégralement consacré à Domenico Scarlatti, avec 14 sonates. Heureusement, peu de doublons avec le DHM évoqué plus haut. Mais le même clavecin Skowroneck/Dulcken. Voici l’intégralité de ces sonates (NB : j’ai choisi la version « chaîne YouTube » qui permet d’aller à la sonate que l’on souhaite écouter, les autres vidéos n’offrant aucun minutage) :
Retour chez DHM en 1979 pour deux disques, l’un encore consacré à la musique française, avec trois Suites de Louis Couperin (circa 1626-1661), l’autre au Premier Livre de Capricci (pour orgue et clavecin) de Frescobaldi (publié en 1624).
Nouveaux instruments pour ces enregistrements : une copie par Skowroneck d’un original français de 1680 pour Louis Couperin ; un Giovanni Battista Giusti de 1681 pour Frescobaldi.
La vidéo du Couperin est intégrale et très bien minutée. Goûtons-en les plaisirs !
Louis Couperin – Suites & Pavane, Gustav Leonhardt – YouTube
La vidéo Frescobaldi ne présente pas le minutage de chaque Capriccio mais chaque pièce est annoncée visuellement au début de son écoute.
Dernier disque de ce long chapitre, enregistré pour DHM en 1980 sur un clavecin Skowroneck (sans plus de précision), et intitulé Pièces de clavecin de Claude Balbastre (1724-1799) et Armand-Louis Couperin (1727-1799), cousin de François. Peu de pièces de ce disque original (ne sont-ce pas ici les compositeurs dont l’année de la mort est la plus tardive dans la discographie de Gustav Leonhardt ?) sont encore disponibles et on aimerait bien que Sony (repreneur des droits de DHM) fasse l’effort d’une reparution digne de ce nom.
Voici 3 pièces extraites de cet enregistrement :
De Balbastre, La d’Héricourt :
Leonhardt Balbastre La d’ Héricourt – YouTube
D’Armand-Louis Couperin, une Allemande et la Courante La de Croissy :
Merci pour votre attention et au mois prochain pour aborder la discographie de Gustav Leonhardt, chef d’ensembles.
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